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Jeudi 28 mars 2024, 13h46

Source : https://www.aislf.org/spip.php?article3349


Pour repenser les discours sur la « normativité » et la « critique » en sciences sociales

Université d’Ottawa, 9-10-11 avril 2017

Ce symposium interdisciplinaire regroupera des chercheurs d’au moins dix pays francophones et francophiles de régions géoculturelles où rayonne en français la recherche en sciences sociales et humaines. L’ambition de ce projet est de contribuer à l’élucidation de deux grands thèmes « problématiques » qui se renvoient souvent l’un à l’autre et qui posent des difficultés sérieuses tant aux étudiants des études supérieures qu’aux professionnels et chercheurs chevronnés : le thème de la « normativité » et le thème de la « critique ». Nous avons sélectionné deux grandes questions pour les structurer : (1) « Que signifie être normatif ? » et (2) « Que signifie être critique ou y a-t-il une forme privilégiée de critique ou un lieu privilégié pour faire la critique ? ».


Appui institutionnel et financier : CIRCEM, Chaire de recherche du Canada en Traditions juridiques et rationalité pénale, Département de criminologie, Faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa, Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, Association internationale des sociologues de langue française.

Comité organisationnel : Patrice Corriveau (Université d’Ottawa), Alvaro P. Pires (Université d’Ottawa, Lukas Sosoe (Université de Luxembourg).

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Objectif général et objectifs particuliers

L’ordre de la présentation de ces questions est davantage de nature pédagogique : examiner d’abord ce qui se passe avec le médium « normativité » avant d’examiner le médium « critique ». La fusion des deux thèmes devient visible lorsqu’on tient compte de l’observation voulant que, dans l’interface entre la philosophie et les sciences sociales, s’est développée progressivement de manière forte pendant le XXe siècle une sorte de conviction selon laquelle toute critique digne de ce nom est nécessairement « normative ». On constate aussi que les chercheurs tantôt valorisent la normativité et soutiennent même que les sciences sociales sont nécessairement normatives ou doivent l’être pour être critiques ; tantôt ils critiquent des recherches et des théories en les désignant comme « normatives » ; la normativité étant alors synonyme de manque d’objectivité. Les présupposés et convictions qui soutenaient ces deux points de vue ont-ils encore aujourd’hui une raison d’être ? D’une part évidemment, il n’y a aucun doute que le thème de normes et de normativité soit – et puisse être – abordé sans référence au concept de critique. D’un autre côté, les deux notions ont fini par former une sorte d’alliance qui rappelle les affinités électives de Goethe, ce que démontre manifestement l’histoire des sciences sociales. Les deux notions ont fini par se fusionner, formant ainsi une arme stratégique-critique, sur le plan de la théorie de la connaissance dans les sciences sociales. Mais, pour sortir d’un cadre, il faut pouvoir en visualiser les frontières...

Premier axe du symposium : Qu’est-ce que la « normativité » ou la critique normative

Le premier axe de ce symposium, celui de la « normativité » ou de la « critique normative », peut partir d’une analyse que fait Ralph Dahrendorf (1961) de quelques penseurs de la première moitié du XXe siècle. Dahrendorf raconte qu’en 1904, Edgar Jaffé, Werner Sombart et Max Weber ont assumé la direction de la revue Archives de Science et de Politique Sociale et ont publié la déclaration suivante dans un article programmatique : « [D]ans les colonnes de cette revue, apparaitra inévitablement aussi la politique sociale, conjointement avec la science sociale. Mais nous ne pensons absolument pas désigner comme « science » ces discussions et nous allons éviter, dans la mesure de notre possible, de les mélanger et confondre ». On peut imaginer l’impact « explosif » de cette déclaration. Un débat a été déclenché brutalement, un débat qui aura la vie longue. Pour visualiser encore à la fois l’ampleur et les tournants de ce débat, rappelons ce texte d’Ernst Bloch, Changing the World : Marx’s Theses on Feuerbach, paru une première fois dans son livre Le Principe espérance en 1959 et repris séparément en 1968 dans On Karl Marx. Bloch reprend et offre, entre autres choses, une interprétation de la onzième thèse de Marx sur Feuerbach : « The philosophers have only interpreted the world in different ways ; the point is to change it ».

Les deux pôles du débat (1- séparer le moment de l’analyse scientifique des différents moments de la normativité et 2- fondre la normativité avec l’analyse scientifique) sont un peu là : la « normativité » est valorisée mais est en même temps extériorisée des sciences sociales et la « normativité » est valorisée mais est placée au cœur des analyses des sciences sociales au point d’en devenir la « locomotive » ou la raison d’être. Dans ce deuxième pôle, la « critique » s’identifie en partie à un projet de transformation de l’environnement humain et le tout sera observé comme étant « nécessairement normatif » ; dans le premier pôle, on insère un « élément froid » (G. Simmel) entre le projet d’analyse et le projet de transformation et on insiste sur la nécessité de distinguer la « science » de la « politique ».

Certes, dans le premier pôle, représenté ici par [Durkheim et] Weber, « la responsabilité du chercheur en sciences sociales ne se termine pas avec les exigences de sa discipline scientifique », comme le rappelle Dahrendorf. De plus, K. Jaspers (1932), repris aussi par Dahrendorf, écrit ceci à propos du premier pôle : « Weber ne s’oppose qu’à la confusion entre les deux [exigences de la science et exigences de la politique] ; [pour lui] seulement la distinction entre ces deux tâches permet la réalisation nette des deux. Il n’y a pas un lien de parenté entre l’objectivité scientifique [ancien langage] et l’absence d’une certaine manière de penser [aussi une ancienne manière de poser le problème]. Mais confondre ces deux choses nous amène à détruire tant l’objectivité scientifique que le programme idéologique ». On voit reparaître ici la métaphore des « affinités électives » : parenté/non-parenté entre normes et « théorie critique ».

Ce débat sur la « recherche de la vérité » en sciences sociales va rapidement prendre la forme d’une querelle contre le positivisme (Positivimusstreit) dans la sociologie allemande et se répandre comme une traînée de poudre. À partir de ce nouveau point de départ, être « normatif-critique » devient une condition nécessaire pour être contre le positivisme (et le fonctionnalisme classique) qui se satisfont de présenter la société « comme elle est ». Or, qu’est-ce qui pose problème dans l’ensemble de ce débat ? Pouvons-nous sortir de cette « bouteille à mouches » (Wittgenstein) ou sommes-nous condamnés à reproduire les « parois » de ce débat en choisissant l’un de ses côtés ou en nous plaçant à mi-chemin dans une sorte de position « concordataire » (Canguilhem) ?

Deuxième axe du symposium : qu’est-ce que la critique ?

Une manière d’introduire le deuxième axe de ce colloque serait une conférence « sans titre » donnée en 1978 par Michel Foucault à la Société française de philosophie. Cette conférence est restée peu connue parce qu’elle n’a pas été incluse dans les trois volumes de Dits et écrits. Les organisateurs de l’événement ont pris la liberté de lui donner le titre suivant : « Qu’est-ce que la critique ? ». Or, au tout début de sa conférence, Foucault explique qu’il n’avait pas donné de titre au sujet dont il voulait traiter. L’exposé resta donc sans titre parce que, sciemment, il n’avait pas osé lui en donner un. Poser la question – « Qu’est-ce que la critique ? » – lui paraissait déjà « indécent » en raison de son énormité et de sa complexité.

Or, à la différence de cette posture qui consiste à esquisser une réflexion sans oser la présenter comme une réponse ferme et fermée sur ce qu’est la critique, nous voyons souvent les théoriciens et les chercheurs en sciences sociales donner des leçons à leurs collègues sur la seule manière d’être critique, sur la seule ou la « bonne » manière d’être « véritablement critique » ou encore sur la perspective qu’il faut privilégier pour être critique. « Être critique » a pris souvent la forme d’une recette rassurante pour l’observateur qui a fait l’économie de la question : « est-ce la seule façon d’être critique ? ». On entend alors dire que la critique exige un regard macrosociologique, que ce regard exige l’inscription de l’objet observé dans un « contexte plus large » et que ces opérations ont une seule manière d’être construites.

Nous confondons alors notre objet et notre façon de l’observer avec la « critique » et nous employons la distinction critique/non-critique comme une sorte de disqualification d’autres formes d’observation. Faut-il continuer à reproduire ce type de pratique discursive en sciences sociales ? Notre intuition est que l’entrée en scène de deux autres « styles » ou modalités de critique dans la deuxième moitié du XXe siècle, la critique postmoderne et la critique inspirée d’une nouvelle théorie de l’observation (Luhmann), nous ouvre une voie de réponse à cette question. De fait, ces deux approches nous conduisent à une révision en profondeur de ces deux thèmes et de leur rapport mutuel.

Programme

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DIMANCHE 9 AVRIL
Salle Alex Trebek-Alumni Hall - 157 Séraphin-Marion

14h00 – 14h20
Ouverture : Patrice Corriveau, Lukas Sosoe, Alvaro Pires
Mot de bienvenue : Marc-Henri Soulet (Président de l’Association internationale des sociologues de langue française, Université de Fribourg, Travail social et politiques sociales)

14h20 – 15h10
Conférence d’ouverture
Jean De Munck, (Université catholique de Louvain-la-Neuve, sociologie et philosophie)
La réarticulation de la normativité et de la critique en sciences sociales. De la dénonciation de la domination à l’évaluation des pratiques

14h50 – 15h10 : Discussion

Session I : Normes, devoir être, critique et contingence
Présidée par Marc-Henri Soulet (Université de Fribourg, Travail social et politiques sociales)
15h10 – 15h40
Elisabeth Lefort (Université du Luxembourg, philosophie)
Kelsen, critique de la sociologie et critique sociologique de Kelsen : une réconciliation possible ?

15h40 – 16h10
Flavien Le Bouter, (Université Fribourg-en-Brisgau, sociologie)
En quel sens la théorie des systèmes de Niklas Luhmann est-elle critique ?

16h10 – 16h40
Carlos da Silva (Université d’Ottawa et Université Fédérale de Minas Gerais, criminologie et sociologie ; juge au Brésil)
Neither blindfolded nor wordy. Using socio-legal critics to cross examine the operations of the criminal law. A case-study

16h40 – 17h10
Camilo Umana (candidat au doctorat en criminologie à l ́Université d ́Ottawa et et candidat au doctorat en sociologie du droit à l ́université du Pays Basque)
La critique des peines radicales : un point aveugle des droits de la personne ?

17h10 – 17h30 : Discussion

17h30 : Cocktail

LUNDI 10 AVRIL
Salle FSS-4004 – Pavillon des sciences sociales
Thème : La normativité en sciences sociales

Session II
Présidée par Stéphanie Gaudet (Université d’Ottawa, sociologie - Directrice CIRCEM)

9h00 – 9h30
Pierre Guibentif (Instituto universitario de Lisboa, politiques publiques)
La teneur normative des théories sociologiques. Réflexions à partir des récents débats sur le potentiel critique de la théorie des systèmes

9h30– 10h00
Alvaro Pires (Université d’Ottawa, criminologie)
Explorations sur les rapports entre normativité et scientificité : un essai en sociologie de la connaissance sociologique

10h00 – 10h20 : Discussion

10h20 – 10h40 : Pause-café

Session III
Présidée par Nathalie Burnay (Université de Namur et Université catholique de Louvain)

10h40 – 11h10
Hugues Rabault (Université d’Évry Val d’Essonne, droit).
La théorie des droits fondamentaux de Niklas Luhmann : une apologie critique
des droits fondamentaux

11h10 – 11h40
Martine Valois (Université de Montréal, droit)
L’impartialité du juge comme garantie de l’objectivité du jugement : une approche critique

11h40 – 12h00 : Discussion

12h00 – 13h30 : Lunch sur place

Session IV
Présidée par Nicolas Golovtchenko (Université Toulouse Jean Jaurès, Vice-président délégué, sociologie)

13h30 – 14h00
Dan Kaminski (Université catholique de Louvain-la-Neuve, criminologie)
Politique et aporie de la neutralité : normativité et critique en criminologie

14h00 – 14h30
Stéphane Vibert (Université d’Ottawa, anthropologie)
Normativités et critiques enchevêtrées : société, modernité et sciences sociales

14h30 – 15h00
Jean-Marc Larouche (Université du Québec à Montréal, sociologie)
Émile Durkheim : critique (laquelle ?) et normativité sociale (laquelle ?)

15h00 – 15h20 : Discussion
15h20 – 15h40 : Pause-café

15h40 – 17h00

TABLE RONDE 1 – Qu’est-ce que signifie être normatif et/ou non-normatif ?
Présidée par Jean-François Cauchie (Université d’Ottawa, criminologie)

Jean-Louis Genard (Université libre de Bruxelles, Directeur du Groupe de recherche sur l’Action publique – GRAP)
Ambition et impossibilité de la neutralisation axiologique ?

Marta Roca (Université de Lausanne, Centre en études et genre)
De l’authenticité à la normalisation. Le cas de l’association catalane Familles Lesbiennes et Gaies

Maryse Bresson (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, sociologie) Repenser l’articulation entre critique et normativité en sociologie des politiques sociales

20h00 : Discussion ouverte et dîner

MARDI 11 AVRIL
Salle FSS-4004 – Pavillon des sciences sociales
Thème : La critique en sciences sociales

Session V
Présidée par Patrice Corriveau (Université d’Ottawa, criminologie)

9h00 – 9h30
Lukas Sosoe (Université du Luxembourg, philosophie politique et juridique)
De la critique dans la théorie des systèmes de Luhmann : concepts, dits et non-
dits

9h30 – 10h00
Walter Moser (Université d’Ottawa, littérature et études culturelles)
Trois types de critique : moderne, romantique, postmoderne

10h00 – 10h20 : Discussion

10h20 – 10h40 : Pause-café

Session VI
Présidée par Nathalie Lewis (Université de Rimouski, sociologie de l’environnement)

10h40 – 11h10
Roberto Miguelez (Université d’Ottawa, sociologie et philosophie)
Critique de la rationalité critique

11h10 – 11h40
Richard Dubé (Université d’Ottawa, criminologie)
La portée critique des théories descriptives

11h40 – 12h10
Margarida Garcia (Université d’Ottawa, droit et criminologie)
De la bouteille à mouches à la boîte de pétri : la recherche en droit et la science

12h10 – 12h30 : Discussion

12h30 – 14h00 : Lunch sur place

14h00 – 15h30
TABLE RONDE 2 : Qu’est-ce que signifie être critique ou y a-t-il une forme privilégiée de critique ou un lieu privilégié pour faire la critique ?
Présidée par Abdessatar Shabani (Faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis, Président de l’Association tunisienne de sociologie)

Monique Hirschhorn (Université Paris-Sorbonne, CERLIS)
Que signifie être critique ou y a-t-il une forme privilégiée de critique ou un lieu privilégié pour faire la critique ?

Gilbert Mubangi Bet’ukany (Université de Kinshasa)
La ville, un espace critique et catalyseur pour l’émergence d’une autre Afrique

Imed Melliti (Professeur de sociologie à l’Université Tunis El Manar détaché à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC)
Critiques ordinaires de l’injustice dans la Tunisie postrévolutionnaire

Jean-Yves Le Talec (Université de Toulouse-Jean Jaurès, sociologie)
Sociologie du genre : objectiver la norme, critiquer la norme

15h30 – 16h00 : Discussion ouverte & Pause-café

16h00 – 17h00
TABLE RONDE 3 : Synthèses, nouvelles pistes de réflexion et questions ouvertes sur la normativité et la critique en sciences sociales
Présidée par Alvaro Pires (Université d’Ottawa, criminologie)

Panelistes :
• Gilles Labelle (Université d’Ottawa, science politique)
• Daniel Mercure (Université Laval, sociologie)
• Lukas Sosoe (Université du Luxembourg, philosophie politique et juridique)

Discussion ouverte avec l’auditoire

17h00 : Clôture

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