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Vendredi 26 avril 2024, 22h42

Source : https://www.aislf.org/spip.php?article4382


Un Adieu au compagnon de route

Jean Kellerhals et Christian Lalive d’Epinay

« Caminante, no hay camino, se hace camino al andar ! »
Antonio Machado

Michel Bassand est décédé le 12 janvier 2021, dans sa quatre-vingt-troisième année ; depuis presque cinquante ans, il souffrait d’une maladie auto-immune, la sclérose en plaque, mais c’est la Covid-19 qui mit un terme à son long et courageux corps-à-corps avec la maladie.

Originaire du Jura, il fait ses études dans les années 1960 à l’Université de Genève où il obtient les licences en sociologie et en sciences commerciales, puis passe une année à l’université du Kansas (Lawrence). De retour à Genève, assistant puis chef de travaux à l’Université, il codirige des recherches dans des domaines divers (jeunesse, fécondité, etc.) tout en poursuivant l’élaboration d’une thèse dans le domaine de la sociologie urbaine, thèse qu’il soutient en 1972 (mention summa cum laude). La même année, il est nommé professeur-assistant à Genève, et deux ans plus tard, suite à la démission du titulaire de la chaire de sociologie, l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) le sollicite. Travailler avec des architectes et des ingénieurs, accepter le défi (et quel défi !) d’une démarche interdisciplinaire avec les planificateurs et autres bâtisseurs de l’espace, voilà qui enthousiasme Michel et marque le début de sa longue et fructueuse carrière à l’EPFL, où il est titularisé en 1976, codirige d’abord (avec un collègue architecte) l’Institut de recherche sur l’environnement construit (IREC), puis fonde et dirige jusqu’à sa retraite le Laboratoire de sociologie urbaine (LaSUR).

Les circonstances de sa nomination dans la célèbre institution de Lausanne, nous les avons vécues avec lui et Michel les a qualifiées d’« histoire incroyable » [1]. Nous y reviendrons. Évoquons d’abord les influences qui marquèrent le développement de sa sociologie urbaine et schématisons le cadre théorique qu’il s’était construit. Il aimait à rappeler sa découverte des travaux précurseurs, dans le monde francophone, de Chombart de Lauwe (1913-1998), qui lui-même avait été élève de Marcel Mauss, et par cette filiation Michel retenait la notion « phénomène social total » pour qualifier l’urbain ; il évoquait ses échanges intellectuels avec Raymond Ledrut (1919-1987, président d’honneur de l’AISLF). D’Alain Touraine, il retenait le renouveau de l’intérêt pour l’acteur social, en réaction aux courants fonctionnaliste et structuraliste qu’il qualifiait de déshumanisés. Ajoutons encore, parmi nos aînés, Jean Rémy (1928-2019). Parmi ses contemporains, il s’activa avec Liliane Voyé (aujourd’hui présidente d’honneur de l’AISLF), Alain Bourdin et Maurice Blanc pour créer un des tout premiers Comité de recherche de l’AISLF (le CR02, en sociologie urbaine). Des États-Unis, Michel avait ramené dans ses bagages, entre autres, Yankee City de W. L. Warner R. et Middletown de H. Lynd et, dans la ligne de l’École de Chicago, Community power structure de F. Hunter. Ajoutons, pour l’ouverture d’esprit du sociologue, l’incontournable référence à The sociological imagination de C. W. Mills.

Pour Michel [2], analyser le phénomène urbain comme un « phénomène social total » revenait à procéder selon « au moins trois démarches complémentaires » : d’abord dans son rapport avec « la société globale », qui pour lui était au premier niveau l’État-nation mais lui-même inséré dans ce qu’on appelle aujourd’hui la mondialisation ; ensuite, ses principaux acteurs sociaux, enfin ses « paliers en profondeur » dont il en retenait « principalement trois » : la morphologie, les pratiques sociales, les représentations collectives. Il commentait : la morphologie, « c’est le palier des architectes et des urbanistes ; généralement pour eux, la ville n’existe qu’en fonction de ce palier » ; en conséquence, pour Michel, la mission du sociologue au sein de l’EPFL était d’ouvrir planificateurs et architectes à une compréhension plus large, globale, de la dynamique du développement urbain dans ses diverses étapes : « Cités, villes, métropoles » [3]. Et on devine dans ce schéma l’influence persistante de G. Gurvitch (1894-1965) !

Du choix des études à l’accès au professorat universitaire : « une histoire commune » (1959-1979)

Pour les auteurs de ces lignes, ce n’est pas « seulement » le collègue que nous tenons à saluer, c’est l’ami, le compagnon de route indissociable de nos propres parcours, tout au long de l’étape la plus formatrice et décisive de nos vies.
Jean et Michel se connaissent depuis leur enfance de jeunes scouts, à Porrentruy dans ce Jura francophone et catholique, mais annexé lors des Congrès de Vienne (1814-15) par le Canton de Berne, essentiellement protestant et germanophone. En bons Jurassiens indépendantistes [4], il n’était pas question pour eux d’étudier à l’Université de Berne, et choisirent de s’inscrire à celle de Genève où Christian qui avait grandi dans cette ville, fit leur connaissance. Très vite, leur passion partagée, la sociologie, les réunit.
Mais donnons la parole à Michel :

« J’aimerais d’abord que vous compreniez que je n’ai jamais été seul. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait dans des réseaux, avec des équipes, mais aussi avec des amis. Et dès les premiers balbutiements de ma sociologie, j’ai toujours travaillé avec d’autres chercheurs qui m’ont beaucoup apporté. (…) Je peux dire qu’il y a effectivement eu, dès le début, un milieu de condisciples (…) dont certains sont devenus de proches amis, puis aussi des collègues. Des gens (…) avec qui j’ai fait beaucoup de choses, en particulier Bernard Crettaz, Jean Kellerhals, Christian Lalive d’Epinay et Jean-Claude Thoenig (…). C’est vrai qu’on a une longue histoire commune. On se réunissait, on se faisait des séminaires, on travaillait tout le temps, on discutait de la société, on la critiquait et on envisageait des manières de la transformer. On était un groupe, on était toujours ensemble, on avait vraiment le virus de la sociologie. » [5]

C’est cette « histoire commune » que nous souhaitons évoquer ici.
Qu’entendions-nous alors par sociologie ? Le choix de ces études n’était pas un choix de carrière (ce que nos familles ne manquèrent pas de nous rappeler !), il exprimait le désir, le besoin de se comprendre en tant qu’êtres sociaux, dans le monde qui était le nôtre, et donc de comprendre ce monde. Très vite au cours de nos études, se développa une passion pour la recherche comme forme spécifique d’immersion dans la réalité sociale, d’en être des scrutateurs, des arpenteurs plutôt que des spéculateurs, ou alors dans ce cas, de transformer nos spéculations en hypothèses pour les soumettre à l’épreuve de l’empirie. Ce qui implique le va-et-vient entre théorie et réalité sociale, le travail de terrain, le corps-à-corps avec « l’objet » de la recherche, et en retour la formulation de la réponse à la question, réponse dont surgissent de nouvelles questions. Bref, s’éveillait en nous le rêve du métier de sociologue-chercheur avec son objet propre (et vaste !), et qui procède selon les canons de la démarche scientifique tout en les adaptant à la nature spécifique de son « objet ».

Ce « virus », comme dit Michel, nous incitait alors à en vouloir plus que ce qu’offrait notre université. À Genève, à la fin des année cinquante, la sociologie était enseignée dans le cadre d’une entité créée au tournant du XXe siècle, la Faculté des sciences économiques et sociales composée d’un ensemble de chaires consacrées chacune à une discipline (économie, science commerciale, géographie, histoire économique et sociale, sociologie pour l’essentiel). Le titulaire d’une chaire était l’unique professeur de la discipline (portant le titre de « professeur ordinaire »), assisté parfois d’un chargé de cours et de deux ou trois assistants (certains à titre bénévole, sic !) L’enseignement de la discipline était donc limité, en termes d’heures, mais aussi en fonction des intérêts et des compétences de l’ordinarius. Il était de bon ton de la part de nos professeurs de nous expliquer qu’ils délivraient des « échantillons de savoir », et qu’il revenait à nous, les étudiants, de compléter le menu ! Ce que nous fîmes avec appétit et même gourmandise et avidité. Si la bibliothèque fut un lieu de travail important, ce que Michel a appelé le « groupe » devint pour nous le lieu de partage des connaissances, de discussions passionnées et d’approfondissements critiques, avec un effet multiplicateur par une répartition des lectures selon les affinités de chacun, lectures que nous résumions et présentions les uns aux autres dans nos séminaires ad hoc. Bien sûr, sur le plan formel, le programme de licence était complété par des disciplines annexes, obligatoires ou optionnelles, et quelques maîtres de qualité ne rechignaient pas à donner des cours introductifs à leur discipline, comme J. Piaget pour la psychologie (qui avait antérieurement détenu la chaire de sociologie !), J. Hersch pour la philosophie ou encore A. Babel pour l’histoire économique.

Le programme avait aussi cette spécificité, rare à l’époque, d’inclure dans les examens de licence la présentation de trois mémoires, l’un d’ordre théorique, l’autre sur un thème relevant d’une discipline annexe, le dernier et le plus important incluant une recherche de terrain donc une initiation à la recherche empirique. Par ailleurs, Michel, Jean et Christian poursuivaient en parallèle le cursus d’une seconde licence, en sciences commerciales pour Michel (peut-être afin de satisfaire le désir de son père de le voir un jour reprendre le commerce familial ?), en économie pour Jean (peut-être afin de rassurer sa maman en lui montrant qu’il faisait bien des études « sérieuses » ?), en théologie réformée pour Christian (peut-être par quête existentielle du sens lors d’une adolescence Sturm und Drang ?).

Si la sociologie était notre passion, si nous la sentions poindre en nous quasiment comme une vocation, dans ces années était-il pensable, réaliste, qu’elle puisse devenir notre métier, notre gagne-pain ? (cf. Max Weber, Sociologie als Beruf : Beruf signifiant à la fois vocation et profession).Dans cette première moitié des années 1960, ce métier nous paraissait ne pouvoir être exercé correctement que dans le cadre universitaire, mais les chaires de sociologie, en Suisse, se comptaient sur les doigts d’une main. Les instituts de sondage ? Ils n’entraient pas en question à nos yeux ! Ailleurs dans le secteur public ? En Suisse romande, la seule entreprise sociologique extra-universitaire qui nous paraissait valable était le Service de la recherche sociologique, au sein du département (ministère) de l’Enseignement public du Canton de Genève, récemment créé par notre aîné Walo Hutmacher [6]. Dans ce contexte, il nous semblait bien utopique que tous, nous puissions accéder à une position universitaire. Sans se le dire, nous craignions aussi qu’un jour plusieurs de nous ne soient candidats à une seule et même chaire : notre amitié résisterait-elle au succès de l’un et à l’échec des autres ? Pourtant, nous étions bien décidés à poursuivre jusqu’au doctorat à de vivre notre passion aussi longtemps de faire se pourra ! Il s’est trouvé que l’époque, qui était la queue des Trente Glorieuses, multipliait les occasions de persister, mais encore fallait-il les saisir et les faire fructifier.

Dans cette étape entre la finalisation de nos études et les premiers pas d’une carrière professionnelle, le « groupe » qui avait complété son programme de formation et compris que la recherche était affaire d’équipe, se mis en quête d’« occasions » de recherche dotées d’un financement, qui, une fois saisies, seraient alors prises en charge à plusieurs. Mais, paradoxe, cela devait être concilié avec la poursuite d’un projet doctoral qui, selon le dogme académique, devait être individuel !

En 1963, Jean-Claude et Christian avaient obtenu une bourse de « jeunes chercheurs » du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNSR) pour la réalisation d’un projet intitulé « systèmes techniques et systèmes sociaux : étude de trois ateliers de l’industrie métallurgique », projet qui s’appuyait sur les travaux de M. Crozier et d’A. Touraine et dont la partie empirique combinait l’observation participante et les entretiens. Michel de son côté terminait une année d’étude à l’université du Texas et à son retour, Jean-Claude et Christian l’associèrent au projet. Il était prévu qu’à un certain stade d’avancement de l’étude, l’un de nous irait à Paris présenter la recherche et ses premiers résultats à Crozier et à Touraine. Ces derniers se prêtèrent au jeu ; les rendez-vous fixés, c’est Christian (pourquoi lui ? On ne le sait plus…) qui se rendit à Paris. À la fin de l’entretien avec Crozier, ce dernier lui dit : « je vais lancer début 1965 une nouvelle recherche et je cherche deux assistants. Seriez-vous intéressé par un poste ? » Énorme surprise de Christian qui venant d’accepter un projet en Amérique latine, explique à Crozier sa situation, sans doute en bafouillant, et ajoute : « mais puis-je en parler à mes deux collègues ? » « D’accord, répond Crozier, mais il me faudra revoir celui de vous trois qui serait candidat ». À Genève, la surprise devant cette offre fut partagée. Après réflexion et discussion, Michel et Christian se désistèrent. En ce qui concerne Michel, il se trouvait que le congrès mondial de l’Association Internationale de sociologie (AIS), dont Raymond Aron était alors le président et Roger Girod le secrétaire général, devait avoir lieu à Evian dans l’été 1966 ; Michel avait accepté le poste d’adjoint au secrétaire général pour les deux années à venir. De son côté, quelques mois plus tôt Christian avait reçu une proposition venant du Conseil œcuménique des églises (COE) de réaliser une étude sur les églises protestantes et les mouvements évangéliques au Chili, avec un premier mandat de deux ans, qui pourrait, si cela marchait, être prolongé et étendu à d’autres pays d’Amérique latine. Proposition irrésistible pour Christian, qui trouvait ainsi une occasion inespérée de faire le lien entre ses deux formations par la pratique de terrain (et quel terrain !) d’ « une sociologie a-religieuse de la religion » (formule chère à Henri Desroches !) ; de plus, le COE acceptait que ces recherches puissent servir à la réalisation d’une thèse doctorale.

Jean-Claude en revanche, qui s’intéressait déjà à la sociologie des organisations, semblait tout désigné et il sauta sur l’occasion [7]. Sa collaboration avec Michel Crozier marque la première étape de sa carrière en France. Mais l’histoire ne s’arrête pas là, une décennie plus tard, elle connaîtra un nouvel épisode ! On y reviendra.

Une fois Jean-Claude parti pour Paris et Christian envolé vers l’Amérique du Sud (1965), d’autres occasions s’offrirent aux « Genevois » Michel, Jean et Bernard. Les trois réfléchissaient alors à leur projet doctoral, Jean s’intéressant aux associations volontaires, Michel à la transformation des villes et Bernard, originaire du Valais alpin, inclinait pour une approche ethnologique de sa vallée natale [8]. Mais ils restaient attentifs à toute occasion qui ouvrirait sur d’autres horizons et qui, par ailleurs, pourrait améliorer la pitance familiale. Par exemple, une Commission fédérale avait lancé un appel d’offre sur le thème de la jeunesse, Jean, Michel et Bernard en décrochèrent le mandat. Autre exemple, la Fondation Ford développait alors un programme international généreusement doté sur la fécondité humaine et se montra intéressée à la participation de la Suisse. Notre commun « patron », Roger Girod, fut contacté, de même que certains de ses collègues médecins. Pour lui, catholique conservateur, le thème frisait l’obscénité, mais il accepta de passer la main à ses « jeunes collaborateurs ». Michel et Jean décidèrent de s’y lancer, mais « ensemble, car seul aucun des deux ne l’aurait osé » (Jean dixit). Ce sera l’occasion d’une expérience interdisciplinaire initiatrice (médecine, sociologie, démographie, et pour Jean, le premier jalon de son œuvre en sociologie de la famille.

Entre temps, lors de la deuxième moitié des années 1960, dans ce contexte des « Trente Glorieuses » (croissance économique et mais aussi démographique suite au baby-boom), se dessine une politique de l’instruction publique encourageant l’accès études supérieures, l’Université s’ouvre et se réforme, les chaires sont abolies, transformées en départements composés chacun de plusieurs professeurs et de collaborateurs de divers niveaux hiérarchiques, le « mandarin » disparaissant (incidence de Mai 68 ?), remplacé par un « collège de professeurs ».
Voilà qui ouvrait des horizons nouveaux, notre ambition et rêve commun quittait le champ de l’utopie pour faire une percée dans le champ du possible. Quelques années plus tard, pendant l’été 1972, Michel, Jean et Christian (qui était depuis une année de retour d’Amérique du Sud) soutinrent tous trois leur thèse doctorale [9] (avec pour chacune la mention summa cum laude), au grand plaisir et soulagement des impétrants qui quelques semaines plus tard, reçurent leur nomination de professeurs-assistants au département de Sociologie.

Mais cette nomination se présentait à nous tel le dieu Janus, avec ses deux visages, la face souriante : professeur, et la face menaçante : assistant. Ce mandat était alors de durée limitée, six ans au maximum, sans prolongation possible ni passerelle instituée vers l’ordinariat (ce qu’en anglais on appelle tenure track). Nous avions six ans pour continuer à vivre notre passion, mais ensuite ? Au-delà, il fallait d’abord que trois postes de professeurs ordinaires fussent créés au Département de sociologie, avec l’allocation budgétaire correspondante. Même dans ces années dites « glorieuses », dans le cadre des rivalités entre facultés et intra-facultaires, pour une discipline qui ne passait pas pour prioritaire, voilà qui n’était guère imaginable. En quand cela serait ? Chacun de ces postes devait aussi faire l’objet d’une mise au concours publique internationale : que chacun de nous trois gagne l’un des concours semblait demander l’impossible. Mais nous étions dans les années post-68, nous disposions de six années pour poursuivre notre rêve et voulions en profiter…

Une fois de plus, dans ce laps d’années, un événement modifia la donne, que le « groupe » cher à Michel , avec sa pratique de partage, sut la mettre à profit. C’est là ce que Michel a qualifié d’« histoire extraordinaire ». Entre temps, de Paris où il avait été nommé attaché de recherche au CNRS, Jean-Claude avait postulé avec succès à la chaire de sociologie de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Ce fut un bref retour au pays, quelques années plus tard, un appel de l’INSEAD (The Business School for the World, peut-on lire aujourd’hui sur le site de cette institution), combinée avec un poste au CNRS, le décide à retourner à Paris. Jean-Claude en informe Michel et lui demande s’il était intéressé à le remplacer à l’EPFL. La réponse de ce dernier ne fait pas de doute et voilà que Michel, après un bref temps probatoire, se retrouve professeur ordinaire de sociologie urbaine à l’École d’Architecture de l’EPFL. Pour Michel, la réalisation d’un rêve, pour Jean et Christian, son départ (mais pas loin, 65 km seulement séparent Lausanne de Genève, laissant ouvert l’espoir de nouvelles collaborations) n’annulait pas le défi, mais le rendait moins aléatoire.

La rocade à l’EPFL entre Jean-Claude et Michel eut aussi un effet de ricochet sur Christian. « Ses » pays sud-américains sombraient alors dans des dictatures sanglantes (dès 1973 pour le Chili, deux ans plus tard pour l’Argentine). Y retourner n’était plus envisageable et Christian décida alors de recentrer ses recherches sur l’Europe. Michel, qui devait se libérer de certains engagements genevois, lui proposa de le remplacer dans un groupe interdisciplinaire qui avait mandat du Rectorat d’élaborer un projet de recherche sur le vieillissement et l’intégration des personnes âgées. Ce ne fut pas tant le thème qui décida Christian, mais l’expérience interdisciplinaire (médecine et sciences sociales), et le fait de retrouver Jean dans ce groupe. Ainsi se consolida entre eux deux une collaboration au long cours, marquée autour de 1990 par la création du Centre Interfacultaire de gérontologie, un des premiers centres interdisciplinaires de recherche de notre université. Pour Christian, ce fut l’entrée dans une thématique – parcours de vie et vieillissement – qui allait l’accompagner jusqu’à la retraite et au-delà.

Cette histoire partagée, ce segment de nos vies qui va des études à l’installation dans la profession, connut son Happy End deux ans plus tard (1979), quand Jean et Christian furent nommés professeurs ordinaires. C’est ainsi que tous les quatre, Jean, Jean-Claude, Christian et Michel vîmes notre passion s’inscrire définitivement dans le cadre universitaire, un cadre qui nous a proposé la meilleure des solutions possibles à la difficile équation à trois termes : liberté de recherche et d’organisation, stimulation intellectuelle, sécurité de l’emploi [10].

Jean Kellerhals, membre du Bureau de l’AISLF (1971-1978)
Christian Lalive d’Epinay, président de l’AISLF (1985-1988), président d’honneur


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